copyright 2014 tout coule
(un roman inachevé)
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chapitre un
La chaleur était plutôt de
l'ordre tolérable, au dessous de la voûte vertigineuse de palmiers
et d'eucalyptus. On but une gorgée pendant que le soleil coulait
entre les deux longs nuages parallèles que l'on ne voyait pas aux
horizons marchant vers l'est. L'iridescence tombant du ciel parvint à
asperger quelques endroits autour de nous, que la voûte
n'adombrageait pas. On s'était allongés sur un tapis de feuilles
mortes, crispées dans la friteuse qu'était la forêt. Les enfants
se couchèrent, l'un à côté de l'autre, sur la pente que donnait
un berceau de racines déterrées, au bas de la colonne camouflée
d'un eucalyptus ancré dans la terre raide. Je fumai une cigarette,
laissant stagner les volutes de mon haleine brumeuse. Quand j'eus
tout imbibé, je me mis à tourner en m'éloignant progressivement
des enfants. Je revins à notre camp dans le noir. Le garçon fut
déjà parti.
Sans faire de bruit, je
rassemblai les armes qu'il avait laissées derrière et je réveillai
la petite pour partir. Elle tripota autour, trouvant ses sandales et
sa poupée. Avant de mettre ses chaussures, elle s'agenouilla devant
la déesse pliée en angle droit, et murmura un chant en son honneur,
rythmique et plaisant. C'était la chanson de réveil, qui redonnait
naissance au monde. D'habitude on la chantait au retour de la
lumière, mais les choses étaient un peu à l'envers, alors on
s'adaptait.
Après avoir déjeuné sur des
figues et des barres de sésame avec sa prêtresse, la poupée se fit
remise à sa place dans le sac à dos, à côté des munitions. Le
nuage bloquait toute lumière maintenant, on allait avoir un peu de
temps, ou peut être un peu plus, pour pouvoir bouger tranquillement.
Il fallait s'habituer à la marche dans le noir mais nous préférions
tomber sur un loup que sur un nid de sniper. Et puis il faisait
terriblement doux, tout d'un coup comme ça, sans la tyrannie du
soleil. La vie semblait s'arrêter, même s’il n’y en avait eu
aucune trace auparavant, on pouvait imaginer ce que c'est que la
mort.
Quand le nuage était
particulièrement dense comme ça, on pouvait se permettre de
s'arrêter et de faire sommeil comme un bébé, cachés des regards
thermiques dans les sous bois, mais c'était vexant de se réveiller
dans le noir. De ne rien souvenir de ce qu'il y avait autour de toi,
ni de combien de temps tu avais dormi. Dans ces cas, il fallait
attendre encore que le soleil revienne et brûle tout devant lui,
dans un brouillard violet. Quand les retombées eurent goupillé
suffisamment sur les larges frondes des palmiers, elles tombèrent en
gouttelettes roses qui illuminèrent le sol.
Et puis lorsque cette aube
terrestre se déclara, les aboiements de l’artillerie ne tardèrent
pas à cracher de nouveau, venant de la ville en échos qui raclaient
dans la forêt. Quand on se trouvait dans les parages des zones
ciblées, on resta où on se fut planqués et fit semblant de se
moquer des missiles errants.
En suivant le sentier dans le
noir, on pouvait dégouliner dans les passages étroits de la
montagne, et même courir avec les yeux fermés, parce que les pieds
y voyaient mieux. Dans la sûreté de l'ombre, avec Isabelle sur mon
dos et le petit se précipitant devant comme un chevreuil, nous
avions mis des longues distances aveugles et insensées entre nous et
Lefkosie. Parfois lors des intervalles sombres des nuages, nous
escaladions les côtes rocheux et accidentés des Kyrénies, pour
tracer l'échine de leur dos comme des déments drogués et
suicidaires. Accumulant un élan surnaturel, on grimpait les falaises
en trois ou quatre mouvements brutaux, rechutant après dans le noir
le temps de quatre ou cinq battements du cœur, à peine glissant sur
les roches aiguisée et invisibles au fond d'une crevasse, avant de
sauter ou retomber encore.
Mais on n'avait pas toujours
la force de laisser affluer ses jambes. Alors on se contentait
d'aller plus lentement, en trébuchant comme des aveugles pendant des
éternités entières. Ramper les pentes raides. Sasha, lui, n'en
manquait jamais d'énergie et filait loin devant lorsqu'Isabelle, sa
sœur, et la déesse, Parpija, et moi commencions à traîner trop.